nathalie epron auteure

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Vin et Christianisme IV

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IV le calice de la discorde

Les frontières géographiques conditionnant la culture de la vigne, elles ont orienté un rapport au vin spécifique et scellé la différence entre protestants et catholiques.

 

Différence entre protestants et catholiques[1]

 

La Réforme a vu le jour dans l'Europe de la bière, c'est à dire une Europe trop fraîche pour que la vigne mûrisse ses fruits, à l'exception de certains coteaux de la Moselle et des vallées du Rhin.

Aussi, si à la chute de l'Empire romain dont les frontières  coïncident à peu près avec la limite septentrionale de la vigne, les régions germaniques étaient "barbares" (pour aller vite, ignorantes du latin et du grec et buvant de la cervoise), elles se convertissent néanmoins au christianisme et donc au vin. Mais le climat interdit qu'il devienne populaire. Les fêtes du calendrier sont noyées dans les flots de bière censés créer des liens de sociabilité et faire oublier la vallée des larmes tandis que le vin est réservé pour commémorer le souvenir de la Cène. Il demeure donc, dans cette Europe du Nord portée sur le houblon, un breuvage à part et non une boisson quotidienne et festive. Il sera consommé sans plaisir particulier, plutôt comme un symbole que l’on respecte, d’où la modération des habitudes de consommation dans les milieux authentiquement puritains (les églises anglicanes protestantes seront à l’origine de la prohibition) ; d'où également la décantation, pratique inventée en Angleterre pour clarifier les bordeaux (vignoble développé grâce au commerce entretenu avec l’Outre-Manche) et créer ainsi une sorte de médiation entre l'esprit sombre du vin qui gît au fond des bouteilles et l'âme du dégustateur qui doit s'offrir à Dieu en toute transparence. Seule la nature vierge est à l'image du Créateur pour les protestants, le vin, lui, est trop civilisé, trop humain pour être vraiment divin. C’est une des raisons pour lesquelles les protestants rejetteront finalement la transsubstantiation, coeur de la foi catholique, ancrée dans les cultures de la Méditerranée.

 

Bouteille protestante et bouteille catholique

 

Malgré tout, le protestantisme a aussi contribué à modeler l’univers du vin. Son influence la plus visible[2] apparaissant sans conteste dans la forme des bouteilles qui lui étaient destinées et qui a connu une expansion prodigieuse. Considérée comme le plus élégant des flacons sinon, pour certains que le snobisme parfois taraude, comme le plus prestigieux, il s’agit de la bouteille de type bordelais. Contenant cylindrique et allongé, aux épaules carrées (à l’origine, c’était pour mieux retenir le dépôt lors de la décantation), il s’oppose à celui dit « bourguignon » qui, plus rustique, possède une base ventrue et des épaules tombantes. Leur esthétique respective n’est pas anodine, elle est à rapprocher de l’image corporelle longtemps en usage associée au clergé catholique qui aurait été, trop bon vivant, plus enclin à l’obésité que les minces et ascètes pasteurs.

 

Le profane et le sacré

 

La représentation d'un moine rubicond et gras qui aimerait le vin d'un amour pas seulement eucharistique a allègrement traversé les siècles, incarnant en quelque sorte la synthèse entre le sacré et le profane. Héritier direct des prêtres de Dyonisos et de Bacchus, il a longtemps incarné l’incessant va-et-vient entre l’au-delà et l’ici bas, entre le sublime et le vulgaire, hissant le jus de la treille à hauteur mystique (le vin pour l’âme à travers la communion) et à hauteur d’homme (remède pour le corps et viatique pour le plaisir). Au 18ème siècle, le cardinal de Bernis, fidèle à la lettre et à l'esprit de Cana ne célèbrera la messe, racontait-on, qu'au Meursault, pour ne pas faire la grimace au seigneur en communiant, oubliant bien opportunément que la passion du Christ s'achève symboliquement dans la dérision du vin[3]. C'est en effet un mélange de vinaigre et de fiel qui lui est offert sur une éponge, alors qu'il est sur le point d’expirer et qu’il réclame à boire. L'heure n'est pas à la consolation ; le calice doit être bu "jusqu'à la lie".

 

Conclusion


Sans le souci du travail bien fait, inséparable de la vie religieuse, la viticulture n'aurait pas autant progressé au fil des siècles. Et, que l’on soit croyant ou non, on peut dire que si la vigne pousse dans la terre, c’est bien au ciel qu’elle s’épanouit. La « part des anges[4] » nous le rappelle même s’il n’existe plus beaucoup de vins monastiques, élaborés principalement par des communautés cisterciennes comme la Oliva en Navarre, Poblet en Catalogne ou Lérins en France dont les rouges épicés et les blanc harmonieux résonnent comme un Te Deum au fond d’un palais. Mais ce qu’il faut retenir surtout, c’est que le “supplément d’âme” accordé au vin par son omniprésence dans la liturgie chrétienne a contribué à en faire une boisson à part et à le situer en haut de la hiérarchie des aliments d’autant que l’Eglise, à partir du 13ème siècle, a réservé exclusivement le calice aux prêtres (seuls les orthodoxes communient toujours sous les deux espèces). Dans ce contexte de la réforme grégorienne,  il s’agissait non seulement de distinguer le clergé des laïcs mais aussi, et bien qu’elle s’en soit toujours défendu[5]  de valoriser le « précieux sang » au détriment de la chair. Par cette sanctification, le vin est devenu culte et il en porte encore les stigmates. Aucune autre boisson au monde, sans doute, n’est traitée avec autant d’égards, de son élaboration à la façon de la consommer. Objet de toutes les attentions et de tous les fétichismes, il est au cœur des communions  païennes, concluant là une cérémonie officielle, scandant ailleurs des convivialités sablées au vin de Champagne. S’il a indéniablement perdu de sa dimension religieuse en devenant l’objet d’une vénération profane, le vin est à bien des égards encore sacralisé, brandi comme le glorieux étendard d’un art de vivre et l’un des emblèmes culturels d’un monde occidental en quête de racines.



[1] Pour approfondir le sujet, on peut lire Le vin et le divin de J-R Pitte,

[2] Voir J-R Pitte, Bordeaux Bourgogne, Histoire d’une rivalité, Texto, 2016.

[3] «  Jésus dit : "J'ai soif." » (Jean 19.28) . « Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d'une branche d'hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l'approcha de sa bouche. » (Matthieu 27.34).

[4] Expression qui désigne le volume de vin ou d’alcool perdu par évaporation lors de l’élevage en fûts.

[5] arguant du fait que le sang est aussi présent dans le corps eucharistique (il faut laisser fondre l’hostie et non la mordre car sinon elle saignerait… a-t-on longtemps fait croire).



13/01/2019
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