nathalie epron auteure

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Vin et Christianisme III

La messe est dite

Après avoir retracé le lien originel entre vigne et christianisme, penchons-nous sur l’alliance vin/divin portée par le cérémonial de la liturgie.

 

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Le vin de messe

Intentionnellement conçu pour la liturgie, le vin doit être élaboré sans ajout d'alcool, de sucre ou d'agent de conservation. Correspondant en somme à ce qu'on nomme aujourd'hui les vins dits "nature", le vin de messe est certifié sans additifs pour ne pas corrompre le fruit de la vigne et entacher le processus de fermentation qui, au Moyen-Age, était considéré comme un procédé de transformation au cours duquel le pur se séparait de l'impur. Pureté du vin d'autant plus essentielle dans le cadre de l’Eucharistie qu’il est considéré non pas comme un substitut liturgique mais comme le vrai sang du Christ selon le  dogme de la transsubstantiation officialisé par le concile de Trente en 1542.

Le dogme de la transsubstantiation

En accord avec les paroles prononcées par Jésus lors de la Cène: " buvez-en tous car ceci est mon sang" et par la lecture strictement littérale de certains passages des Evangiles dont celui de Jean[1], le phénomène de transsubstantiation, selon l'Eglise catholique romaine, transforme « réellement » et matériellement le vin en sang du Christ. En revanche, il retrouve son caractère profane chez les protestants qui, depuis la Réforme lui préfèreront le principe de consubstantiation : le vin demeure du vin, il n’est qu’un symbole qui n'empêche nullement la communion.

Rouge est le sang mais blanc est le vin…

Puisque le vin est le sang de la vigne, on s’attendrait à ce qu’il empourpre le calice lors de la communion. Or, il faut se garder des fausses évidences car si le vin de messe a pu être rouge, et encore c’était pour ne pas le confondre avec de l’eau, aujourd'hui et depuis très longtemps, il est généralement blanc et pas seulement pour les raisons pratiques parfois invoquées : éviter les taches trop visibles sur le linge liturgique, ménager le palais matinal des prêtres… En fait, pour consentir au principe de transsubstantiation, il faut se situer en dehors d’une logique dominée par la raison et abandonner une pseudo cohérence nécessaire à toute vraisemblance « réaliste » car, bien sûr, il ne s’agit pas de faire croire, de faire comme si, d’être dans le conditionnel enfantin, l’illusion théâtrale ou le vœu pieu. Si pour un croyant,  seule compte la vérité de la foi, pour les fidèles de l’époque avides de concret (c’est la grande vogue des reliques),  il fallait aussi voir et, en dépit de son étrangeté, c’est l'image du pressoir mystique qui illustrera le mieux  le dogme eucharistique. Représentation sidérante  à un regard contemporain qu’on peut, à Paris, observer sur les verrières du cloître de l'église Saint Etienne du Mont, près du Panthéon.

Le pressoir mystique

Par souci pédagogique, face à l'insondable mystère de la transsubstantiation, les artistes chrétiens de la fin du Moyen-Age imaginent en effet une image inversée du sacrement inspirée d'un verset du prophète Isaïe (63.3), voix majeure de l'Ancien Testament, et de l'épisode biblique de la Grappe miraculeuse de Canaan[2]. Ce motif figure le Christ de la Passion couché sur un pressoir à raisins avec le sang qui coule de ses plaies et qui est mis en tonneau comme du vin. Parfois même la traverse du pressoir n'est autre que la croix pesant lourdement sur les épaules de Jésus et cette traverse est mue par une grosse vis que l'on tourne pour écraser le contenu de la cuve. On comprend mieux dès lors l'indifférence à la couleur du vin de messe : l'important est le traitement douloureux du raisin et non son aspect.  La métaphore fonctionne pleinement : Jésus supplicié donne son sang à l'image du raisin écrasé donnant son jus pour le vin.

Dieu déicide

Illustration qui agit d'autant plus comme un argument d'autorité pour les gens de l'époque hantés par l’idée de sacrifice que bien souvent apparaît, au-dessus de la scène allégorique, la figure de Dieu le Père assistant à la mise à mort du Fils, la bénissant ou pire encore la commandant. Certaines images poussent même plus loin l'allégorie du Salut. Puisque le sacrifice du Christ fait partie du dessein voulu par Dieu qui châtie et fait expier l'humanité pécheresse dans la personne de son Fils, des artistes le figurent participant activement, en tournant de ses propres mains le levier de serrage qui entraîne l'écrasement dans la cuve.

Iconographie nordiste

L'iconographie du pressoir mystique apparaît avant le 15ème siècle et se diffuse presque exclusivement dans les pays d'Europe du Nord où elle est née et non dans la mystique et charnelle Espagne dont l’imaginaire semble a priori plus en lien. Mais ce motif de l’art chrétien qui peut apparaître, aujourd'hui, d’une barbarie sans nom surgit au moment même où les réformés vont annoncer le règne du pur esprit. En face de Luther et de Calvin, le dogme essentiel du catholicisme s’affirme hardiment - même si c’est de façon naïve - et consacre en quelque sorte la séparation avec les protestants.


[1] " Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'avez point la vie en vous-mêmes. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle (...) Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui (...) ainsi celui qui me mange vivra par moi." (6.32-58)

[2] Dans les figurations artistiques, le Christ en croix est souvent associé à la grappe de raisin ramenée de la Terre Promise pendue à une perche.



07/01/2019
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